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"Une vie à elle"
5 septembre 2014

« Laisse-le pleurer ! »

Impossible : je n’y arrive pas. Pourtant, Dieu sait qu’on m’y incite : « oh, c’est bon, ça ne va pas lui faire de mal. Les nôtres, on les a bien laissé pleurer, et ils ne sont pas devenus idiots pour autant ».

 

Certes non. Mais quand on y réfléchi un instant, je trouve que les adultes de ma génération et de celle d’au-dessus souffrent tous des mêmes maux : manque de confiance en soi, anxiété, complexe d’infériorité, besoin de reconnaissance, difficulté à s’affirmer, etc… Et si c’était lié, au moins en partie, à ce credo éducatif ? Et si les angoisses et frustrations qui n’ont pas été entendues dans l’enfance étaient la source de ces sentiments négatifs ? Dans un film de Nanni Moretti que j’ai beaucoup aimé, Habemus Papam, on voit une psychologue qui pose le même diagnostique sur tous ses patients : « déficit d’attention maternelle » (je cite la formule de mémoire). Le comique de répétition rend la chose dérisoire, mais sur le fond, ce n’est peut-être pas si absurde !

 

Pour ne pas commencer à faire de la psychanalyse sauvage sur mes proches, je vais me prendre comme exemple : j’ai été, aux dires de tous, une enfant très obéissante, docile même. Et qui ne pleurait jamais. Chose très appréciée chez une petite fille, « sage comme une image », et que tout le monde félicite de l’être. Celle qui ne se fait pas remarquer, quoi ; qui ne dérange pas. Oui, mais à quel prix : devenue adulte, il m’a fallu déployer beaucoup d’énergie pour me défaire d’un sentiment quasi-permanent d’être de trop. Complexe d’infériorité et difficulté à s’affirmer ont été mon pain quotidien pendant des années, et il m’a fallu (sur-)investir mon travail pour me prouver à moi-même ma valeur. J’ai encore une tendance à m’excuser en permanence, que mon mari tente de combattre.

Je suis née par césarienne et, selon l’habitude dans les années 80, j’ai été mise dans une pouponnière dès mes premières nuits, pour que ma mère puisse se remettre de son opération (et écrivant cela, je ne lui jette pas la pierre : on faisait ainsi à l’époque). Je suis née peu avant midi ; cela veut dire que, moins de 12h après ma naissance, j’ai dû m’époumoner au milieu d’autres bébés aussi désemparés que moi, jusqu’à baisser les bras, et comprendre que cela ne servait à rien. Et ainsi de suite, pendant les neuf nuits passées à la maternité. Cela a fait de moi un bébé qui ne pleurait jamais : une fierté pour mes parents, qui en parlent encore (et sans doute aussi, un confort !). Je ne dis pas que mes problèmes de jeune adulte étaient intégralement liés à cette expérience de la pouponnière ; mais il y a sans doute mieux comme entrée dans la vie.

 

Souvent, on entend cet argument : laisser le bébé pleurer, c’est un peu dur au début, mais très vite, il comprend. Mais que comprend-il ? Qu’on le laissera tout seul, quoiqu’il tente, parce qu’on a mieux à faire que s’occuper de lui ; que ce n’est pas la peine de se manifester. Je n’arrive pas à comprendre que le confort de l’adulte passe à ce point-là devant celui du nouveau-né : car qui est en situation de faiblesse ? Qui découvre un monde inconnu, dans lequel il ne peut survivre que si l’on s’occupe de lui ? Qui ne comprend rien à son environnement ? C’est pourtant à cet être démuni qu’on demande de prendre patience, de faire des efforts. Pour moi, c’est le monde à l’envers.

 

Même si ce n’est pas le but recherché, pour moi, l’enfant qu’on laisse pleurer comprend juste qu’il ne sert à rien de s’exprimer. Il n’apprend pas, il renonce. Il faut rappeler que le bébé n’a qu’un moyen de communication à sa disposition dans les toutes premières semaines de sa vie, alors qu’il ne contrôle pas encore ses mimiques : les pleurs. En choisissant de ne pas les écouter, on lui refuse le seul contact qu’il puisse établir avec le monde. Est-ce que la tranquillité des parents vaut qu’on impose une pareille violence à un tout petit, qui n’a de plus aucun moyen pour interpréter l’absence de réaction de ses parents ?

 

Working mama utilise une comparaison que je trouve très juste : ce qu’on élève au rang de  principe éducatif pour le bébé serait perçu comme de la maltraitance avec une personne âgée. Seul dans son lit, ayant faim ou froid, ayant besoin d’être changé, ayant peur, on le laisse tout de même seul à pleurer : expérience terrible, quel que soit l’âge !

 

Encore une fois : quel soulagement de voir toutes (toutes !!) mes tantes et cousines italiennes ouvrir des yeux ronds de sidération quand je leur disais : « en France, on laisse pleurer les bébés ».

 

Dès la maternité, je me suis mise d’instinct à la place de mon nouveau né, qui découvrait totalement le monde, et qui était parfaitement vulnérable : il m’était impossible de le laisser pleurer. Depuis, j’ai lu (je crois dans le numéro de Books de juillet-août sur Les Enfants difficiles) que le bébé porte toujours en lui cet instinct préhistorique : bébé posé = bébé abandonné = bébé mort. De fait, nous naissons sans aucune défense, incapables de marcher, de nous retourner, et même de voir venir le danger. La seule défense que la nature ait prévu pour le bébé humain, c’est la capacité d’appeler sa mère à l’aide. Cette panique ancestrale, je l’ai vue à l’œuvre dans le comportement de mon fils ; elle le reprend encore par moments. Je n’ai pas cherché à lui « apprendre » à faire avec (apprendre quelque chose à un bébé de quelques semaines ??), mais à la lui éviter, autant que possible.

 

Quand je dis que je ne suis pas capable de laisser mon bébé pleurer, j’entends : par principe éducatif. Il y a des moments où on ne peut ou ne sait comment faire. Il arrive que l’on soit obligé de terminer quelque chose ; auquel cas, je fais au plus vite, mais parfois le plus vite prend quand même un peu de temps. Il arrive aussi qu’on ne sache pas, ou qu’on ne trouve pas tout de suite quoi faire. Parfois, j’ai tâtonné un peu longuement avant de comprendre. Ces expériences sont à mon goût suffisamment fréquentes pour « aguerrir » bébé : je ne trouve pas utile de prévoir des pleurs « pédagogiques » en plus.

 

Je termine cette réflexion sur une anecdote : pendant les vacances en Italie, nous sommes passés à une station essence, et je me suis rendu compte trop tard que j’avais oublié mon portefeuille. Mon mari ne parle pas italien : j’ai donc fait un aller-retour pour payer le pompiste. J’ai fait au plus vite pour ne pas trop laisser mon fils, qui dormait, seul avec mon mari. Mais le temps de faire la route, et de laisser passer une procession (pittoresque !), je me suis tout de même absentée trois bons quarts d’heure. Quand je suis rentrée, mon bébé hurlait depuis au moins vingt minutes, m’a dit son père. Je l’ai pris dans les bras sans même prendre le temps de fermer la voiture : il s’est calmé instantanément. Il avait faim, et c’était la principale raison de ses cris. Mais le temps de rentrer dans la maison et de s’installer, je ne l’ai allaité que trois ou quatre minutes plus tard. Pendant ces quelques minutes, il était calme : simplement rassuré de me savoir de retour, et confiant. Maman est là, elle va me donner à téter, tout va bien.

 

Je peux vous dire que j’appréhende le premier jour de crèche…

(Billet rédigé le 26 août)

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