Donner la vie (À I., D. et C.)
Comme beaucoup de personnes de ma génération, et pas seulement des femmes, j’ai beaucoup ri au sketch de Florence Foresti sur l’accouchement. Le fameux où elle dit qu’on n’a pas le droit de dire la vérité pour protéger la survie de l’espèce, qu’on signe un papier…
Maintenant que je suis devenue mère, il ne me fait plus rire. Certes, on ne va pas reprocher à un spectacle comique d’être caricatural ! Je n’ai rien contre Florence Foresti, évidemment. Mais, bien au-delà de ce sketch, je trouve que le message social autour de l’accouchement est toujours très négatif… et que ce n’est pas une bonne chose.
En écrivant ce billet, je pense à mes amies qui sont à la veille de vivre ce grand événement. Je pense notamment à I., que je vais probablement laisser sur ces quelques mots, et retrouver mère. J’ai envie de leur dire : je vous envie.
N’écoutez pas les bêtises qu’on va vous dire ; n’allez pas à la maternité comme à la boucherie ou à l’abattoir. J’en veux beaucoup à tous les oiseaux de mauvais augures qui poussent les futures mères à arriver à la maternité comme des souris tremblantes sur la table de dissection. Pourquoi apprendre aux futures mères la peur ? Pourquoi les conditionner à la crainte ? Est-ce que cela les aide ?
Oui, on le sait, la douleur fait partie de l’aventure ; elle tient même l’un des rôles principaux. Mais il n’y a pas qu’elle ! Vous allez vivre cette expérience prodigieuse qui vous pousse à trouver en vous des ressources que vous ne vous connaissiez même pas. Vous allez vous découvrir une force incroyable, qui donne l’impression de toucher la Vie du doigt. Vous allez vous dépasser pour donner la vie à quelqu’un qui la demande. Vous allez devenir mère.
Je trouve idiot de mettre l’accent, comme on le fait presque toujours, sur la douleur uniquement. Idiot, et presque méchant, quand on sait à quel point la peur engendre la douleur. Il y a là un superbe cercle vicieux qui peut voler complétement à une femme ses ressources. Il faut vous faire confiance : malgré les moments difficiles, vous saurez vous adapter. On peut perdre par moment les pédales, et les retrouver.
Et puis qu’est-ce que c’est que ce discours qui incite les futures mères à subir ? À moins d’une césarienne, c’est vous qui allez sortir votre bébé. On vous y aidera peut-être ; dans certains cas, on surveillera seulement que tout va bien. Mais personne ne peut remplacer la mère : c’est elle qui accouche, avec son corps et sa force mentale. Elle n’est pas une accouchée.
D’ailleurs, comme mes amis le savent, je n’aime pas ce mot, accoucher. Je le trouve très laid ! Un ami me proposait comme solution de remplacement « être en gésine », ou « gésir », que Claudel utilise et qui est un terme ancien. C’est plus joli en terme de sonorité, mais le sens est le même : être allongée. « Accoucher », c’est beaucoup plus actif que cela ! C’est vraiment inventer les moyens de donner la vie.
Et c’est exactement ce qui me gêne : ce côté « Marie, accouche-là » dans le discours ambiant. Allonge-toi et écoute le médecin. Encore une manière, à mon humble avis, de voler aux femmes leur rapport à leur corps. On nous vole au passage les moments les plus intenses, mais les plus magiques, de nos vies de femmes-mères. On nous met plein de peurs en tête au lieu de nous rappeler à quel point nous sommes fortes. Fortes au point d’y arriver. Il faut croire que cette force fait peur…
À mon avis, la douleur peut être supportée si on la vit comme un rite de passage. Cette douleur a un but, et peut-être même un sens : elle donne la lumière à un être déjà vivant, et qui a besoin de cet arrachement pour continuer à vivre. La douleur nous rappelle à quel point donner la vie est un cap décisif pour la mère et l’enfant, qui terminent en même temps une tranche de vie fusionnelle de neuf mois. Cette nécessité donne une raison d’être aux souffrances que l’on pourrait ne faire que subir. A contrario, après avoir accouché, je me suis dit : « Qu’est-ce que ce doit être que la torture ? ». J’entrevois une douleur encore bien plus forte, et surtout une épreuve morale : où trouve-t-on la force de résister quand on n’est pas porté vers la lumière d’une vie à naître ?
Alors oui, vous allez souffrir ; d’une souffrance parfois déchirante. Vous allez faire un chemin, en partie solitaire, jusqu’au fond de vous-même, d’où vous rapporterez trois rencontres. Vous allez découvrir la femme que vous êtes ; vous allez rencontrer la mère qui va naître de cette épreuve ; et vous allez rencontrer votre enfant. On ressort de cette épreuve parée pour être mère.
Pour ces trois rencontres, je prendrais bien votre place, et renouvellerai volontiers cette expérience tellement riche. Je sais déjà que j’ai envie de redevenir mère, pour retrouver au moins une fois cette force qui est en moi. J’écris ceci alors même que j’ai eu un accouchement déclenché, médicalisé, et que j’ai frôlé la césarienne. C’était malgré tout une nuit merveilleuse, et au petit matin naissait ma merveille.
Fermez vos oreilles, les filles, et remplissez-vous de confiance : vous serez des mères fabuleuses.