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"Une vie à elle"
13 novembre 2015

Motricité libre

 

Par mariage, j’ai acquis quelques connaissances dans un domaine qui m’était auparavant étranger. Je commencerai donc ce billet par une « vignette ethnographique », dédiée à mon chéri.

 

Il y a quelques mois de cela, je faisais la queue dans une boulangerie pour acheter mon pain. Devant moi, une dame d’une trentaine d’année, et face à elle, la boulangère, à peu près du même âge. Elles se connaissent, se tutoient, et échangent des nouvelles de leurs enfants.

-«  Ca y est, X sait marcher. A neuf mois ! Il est précoce. Mais bon : neuf points de suture au crâne le week-end dernier. On a passé le dimanche aux urgences.

- Ah oui, nous Y c’était pareil. 5 points de sutures ».

Et sur ces bonnes paroles, ces dames s’embrassent et la cliente s’en va.

 

Je n’ai pas eu beaucoup de mal à mémoriser le nombre de points de suture du petit héros : 9, comme son nombre de mois. (Je ne suis plus très sûre du nombre de points récoltés par le petit Y, mais c’était moitié moins, en gros). Mon fils n’avait que 5 ou 6 mois à l’époque, donc tout cela me paraissait encore lointain. Mais fichtre, neuf points de suture ! Je me représentais dans ma tête la balafre ; cela ne devait pas être beau à voir.

 

Et dans ma tête, j’en ai immédiatement déduit : mobilité forcée. C’est un terme qui n’a pas d’existence officielle, mais que j’utiliserai ici par opposition à motricité libre. Qu’est-ce que la motricité libre ? Il existait jusqu’à récemment un excellent billet sur le blog de Working Mama, auquel je pensais renvoyer mes lecteurs, me réservant seulement le plaisir de détailler quelques points, pour apporter ma pierre à l’édifice. Mais il semble que le blog ait été désactivé ; je vais donc préciser un peu les choses, de manière trop brève. Pour plus d'informations, je vous renvoie au livre de Chantal de Truchis, L'éveil de votre enfant.

 

Et avant d’attaquer le vif du sujet, un souhait : j’espère que ce billet ne blessera personne, parce que je sais qu’autour de moi, tout le monde a appliqué la méthode dont j’ai voulu m’éloigner. Et il faut dire que la motricité libre est encore une idée très peu connue. Je ne cherche ici qu’à faire connaître une autre option, qui est moins fantaisiste qu’on ne pourrait croire, et qui m’a totalement convaincue à l’usage.

 

Le principe de base de la motricité libre est que le développement moteur d’un enfant devrait être une acquisition purement autonome. Il y a des domaines où tout l’art d’être parent consiste à savoir... ne rien faire, voire à contrarier un mouvement spontané qui nous pousse à intervenir. C’est paradoxal, parce que par ailleurs être parent, c’est intervenir souvent, parfois jusqu’à l’épuisement. On en perd parfois son latin, et on en oublie qu’il faut aussi savoir s’arrêter pour laisser l’enfant faire par lui-même.

 

La motricité libre peut se résumer en une idée directrice : ne jamais faire prendre à l’enfant une position qu’il n’est pas capable d’adopter tout seul. Et ce dès le plus jeune âge. Cela implique donc d’éviter toute une série d’habitudes très répandues : faire tenir le bébé assis en le calant sur des coussins ; le mettre sur le ventre quand il ne sait pas se retourner ; le mettre dans une chaise haute alors qu’il ne tient pas assis ; lui tendre des objets alors qu’il est en train de faire des efforts pour les attraper par lui-même ; et enfin, last but not least : ne pas le mettre debout « pour rire », et ne pas le faire marcher « pour l’exercer ».

 

À la maison, nous n’avons pas été exemplaires sur la question : notre assistante maternelle mettait mon fils à plat ventre quand il avait 4 mois « pour l’habituer ». Il dort désormais avec la nuque cambrée en arrière, malgré un premier passage chez l’ostéo (il va falloir que j’y retourne). Je n’y avais pas pensé lors de la première consultation, mais maintenant quand je le vois dormir complètement arqué, je repense à mon nourrisson, peinant à relever sa tête, beaucoup trop lourde pour sa petite nuque. Quand je pense que j’ai laissé faire ça. Heureusement nous avons changé de crèche rapidement, et les pratiques n’étaient pas les mêmes dans sa crèche actuelle. De même, il m’est arrivé plusieurs fois de lui donner tel jouet qu’il « n’arrivait pas à attraper » – ou plutôt qu’il essayait d’attraper. J’essaye de lutter contre ce réflexe mais l’idée vient parfois après le geste. Et, même si je suis souvent intervenue, j’ai parfois laissé des gens le mettre debout alors qu’il ne savait pas encore marcher. J’ai fermé les yeux avec les personnes âgées notamment, parce qu’il est parfois délicat de leur expliquer que ce qu’elles ont fait avec leurs enfants et leurs petits-enfants est à mes yeux une erreur à éviter ; et que je savais qu’elles ne tiendraient pas le dos courbé bien longtemps.

 

La marraine de mon fils nous a prêté, quand il avait à peu près un an, un casque en coton rembouré fait maison, spécialement conçu par sa grand-mère pour l’apprentissage de la marche. Elle m’a dit combien cela avait été précieux pour son fils. Il ne nous a jamais servi. Mon fils a marché plutôt tard. Il a d’abord appris à se mettre debout, sans appuis, à 14 mois, passant par l’accroupi pour se dresser et retourner au sol ; il fait ses premiers pas à 15 mois, et consolidé ses acquis progressivement à 16 mois. À 17 mois, il cavalait. Mais ces différentes acquisitions ne l’ont jamais fait tomber. Et s’il tombe, parce qu’il glisse dans ses chaussettes par exemple, il sait se rattraper avec les mains ou sur les fesses. Il ne s’est pas une seule fois fait mal en apprenant à marcher : comme quoi, c’est possible.

 

Quand il avait 15 mois, quelques jours avant qu’il ne fasse ses premiers pas, j’ai pris les conseils d’une cousine ostéo, spécialisée dans les enfants – qui vit trop loin de chez moi pour pouvoir le suivre, malheureusement. Je lui ai demandé ce qu’elle pensait de cette méthode, parce que les questions incessantes de mon entourage (« Alors ? Il marche ? ») me pesaient. Elle m’a dit qu’elle était très pour. Elle a ajouté : « Tu sais, j’en vois tous les jours en consultation, des enfants qui soi-disant savent marcher, et qui en fait ne font que se lancer et s’étalent par terre parce qu’ils ne contrôlent rien. Ce sont ceux qu’on a poussé à marcher trop tôt ». Cela m’a rappelé que j’en avais déjà parlé avec l’ostéo que j’avais consultée quand mon fils avait dix ou onze mois : elle m’avait dit que le gros de sa clientèle étaient les enfants qui avaient marché trop tôt et qui avaient, par exemple, le centre de gravité déplacé par cette acquisition trop précoce.

 

Je ne suis pas en train de dire que faire marcher son bébé pour l’entraîner va immanquablement lui mettre la colonne vertébrale sens dessus dessous. Mais je plaide, comme toujours, pour le principe de précaution. Et cela m’inspire cette réflexion plus générale : à quoi bon essayer d’entraîner un bébé à marcher ? Pour jouer avec lui ? Il y a d’autres jeux, même moteurs (dans le bain par exemple), plus sûrs. Pour lui apprendre quelque chose ? Il n’en a pas besoin : son corps est fait pour arriver à la station verticale et il apprendra certainement mieux s’il trouve la solution en lui-même. Parce que cela nous fait plaisir, ou que les grands-mères veulent pouvoir dire fièrement que leur petit-enfant marche déjà ? Mais aime-t-on un enfant pour l’image valorisante qu’il vous renvoie ? N’est-ce pas déjà lui imposer une norme de performance ? Je ne vois pas de vraie raison de prendre les commandes à leur place ; alors pourquoi pas les laisser faire ?

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